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Pol Pierre Gossiaux

 

Professeur d’Histoire et
 Ethno-sémiologie

des arts africains à l’Université de Liège.

 

 


MYTHE ET POUVOIR.

LE CULTE DE RYANGOMBE-KIRANGA

(Afrique équatoriale de l'Est)

 

 

 

 

            Le culte de Ryangombe- Kiranga (1) est répandu sur une aire très vaste de l'Afrique équatoriale de l'Est qui comprend notamment le Bunyoro, le Toro, le Rwanda, le Burundi, le Buha (Tanzanie), le Bunyamwezi et une partie de l'est du Zaïre, notamment le Bushi (Kivu) (2). Les adeptes très nombreux, forment une sorte d’ « église » structurée et hiérarchisée de région à région selon un découpage qui correspond, d'une manière très large, aux frontières des anciens royaumes constitués dans la région avant l'époque coloniale. Elle exerce sur la société tout entière un rôle prépondérant (3).

            La religion de Ryangombe offre, par rapport aux religions initiatiques traditionnelles de l'Afrique, la singularité d'être centrée sur la personne mystique d'un Héros Divin, dont l'histoire et la mythologie s'investissent d'une fonction rédemptrice et le culte, d'une dimension authentiquement eschatologique.

            Des rapprochements - plus qu’hasardeux, faut-il le dire ? - ont pu être faits avec l'ancien culte de Mithra (4), voire le christianisme même.

            Certaines traditions nkore et rwanda notamment, font de Ryangombe un roi cwezi du Gitara (ancien royaume de l'Uganda central et méridional) qui aurait été chassé de son royaume par des envahisseurs d'origine hinda (?), entraînant avec lui ses armées et ses troupeaux. De longues migrations, marquées de razzias et d'affrontements sanglants avec les chefs locaux, l'auraient mené dans les régions confinant aux Grands Lacs, où il aurait vainement cherché à reconstituer son royaume, avant de trouver la mort dans une partie de chasse au buffle (selon les versions les plus répandues).

            Les légendes pseudo-historiques et les mythes relatifs au Dieu, ses exploits et sa mort, sont nombreux (six ou sept versions récoltées pour l'aire rwanda (5), quatre ou cinq pour l'aire shi (6), etc.) et varient de région à région où ils se trouvent contaminés, notamment, par les légendes concernant les anciens rois ou héros locaux (Wamara, dans les régions de l'est, Ruganzu Ndori, Kigeri Musinga au Bushi et au Rwanda, etc.). Le même récit comporte souvent de surcroît, de nombreuses variantes locales ou individuelles. Néanmoins, l'on peut distinguer parmi les multiples variantes du mythe, trois séquences, articulées entre elles le plus souvent selon une même structure syntagmatique, et regroupant une série de thèmes analogues.

            Une première séquence rapporte les exploits de Ryangombe et de ses vassaux ou servants (rw. : Ibisumizi ou Imandwa ; run. : Ibishegu ; ha. : Ibiyaga). Hauts faits d'armes et de chasse, exploits sexuels, vols, meurtres constituent les thèmes communs de cette séquence. Ils tendent tous à affirmer le caractère indomptable (rw. : ubuhangange), l'extrême violence, la cruauté (rw. : ubugome), la ruse et l'intelligence (rw. : ubwenge) proprement surhumaines de Ryangombe et de ses vassaux. La version du mythe que nous avons recueillie en 1972 de la bouche de Mutabaruka (c. 1890-1975), tutsi (clan-sindi), qui vécut comme poète officiel à la cour du Mwami (Roi) Musinga, donne à cette violence une intensité extrême - notamment dans les ibyivugo et les ibisingizo (sorte d'autopanégyriques outranciers, qui ne trouveraient d'équivalents dans notre culture qu'avec les « gabs » des anciens chevaliers (7)) de Ryangombe et de ses vassaux Ibisumizi. En voici la traduction littérale :

 

                        Voici  de Ryangombe le  récit. De Ryangombe le parieur-de-ne-pouvoir-passer-la-nuit-sans-une-femme-dans-ses-bras, Ryangombe-le-parieur-de-ne-pouvoir-laisser-son-épée-une-journée-sans-chair.

                        Voici de Ryangombe les vassaux. Le premier est Kagoro-le-puissant, celui-aux-parties-du-corps-souples, l'effrayeur-des-'Bayombo’, le riche possesseur de fourrage pour les vaches. Puis, de ses vassaux, Binego-la-Foudre, le tueur de Nyirakajumba (8), le tueur de Nyirabisinde (9), le tueur de Nyirakatoke (10) ;  “j'ai, tué (dit-il) Nyirakotake, Nyirakajumba, Nyirabisinde et depuis plus personne ne s'occupe des jachères, plus personne ne s'occupe des bananes, plus personne ne s'occupe de patates douces”. Il a tué Mpumutimucuni (11) avec sa hache de cuivre. Il a tué la vieille, sa grand'mère. Puis, était Mugasa, le vainqueur des guerriers-foudres-de-la-terre, en sorte qu'à présent ne demeurent à vaincre que les foudres du ciel.

                        Ryangombe, un jour, entreprend de parler à Ruganzu (12). Ruganzu, avec ses vassaux 'Ibisumisi'. Ils se disputent pour savoir qui est le plus fort. Ryangombe était avec Muvunyi, qui passait devant tous les autres pour aller se battre et danser à l’ ‘intorero (13), lui la-tête-qui-réveille-le-Ndahiro. Ruganzu et Ryangombe ont convenu de réunir leurs guerriers pour qu'en vantant leurs exploits l'on voie qui gagnera. Le premier des ‘Ibisumisi de Ryangombe commence son ‘icyivugo’ (« éloge ») et puis les autres font leur ‘icyivugo’. Binego Rukarabankaba (celui-qui-se-lave-les-mains-dans-le-sang) : « je suis la foudre, je suis l'urine du tonnerre, je ne suis pas, je ne viens de nulle part, je ne vais nulle part ». Puis Nyabirungu qui-ne-peut-supporter-le-rouge, le guerrier-blanc : « je n'ai peur de rien, je porte les testicules de mes ennemis autour du cou, je les casse en morceaux ». (Mugasa, Kagoro, etc. profèrent à leur tour leur ‘icyivugo, auxquels répondent les guerriers de Ruganzu). Ruganzu reconnaît que les guerriers, de Ryangombe sont les plus forts. Ryangombe songe aux moyens d'exterminer à jamais les guerriers aux mots si bizarres. (14).

 

            Parmi les exploits de Ryangombe, rapportés par d'autres mythes (15), la mise à mort de son propre fils Bujinja, prend une signification toute particulière. Ryangombe avait interdit à Bujinja de se rendre dans le rugo (enclos, résidence) de Nyirantakitamuheneka (lit. : « celle qui se renverse devant n'importe qui »), l'une de ses nombreuses femmes, initiée par ailleurs à la sorcellerie. Bujinja n'ayant pas pu résister aux avances de celle-ci, Ryangombe le tua d'un coup de lance dans la nuque. Le fait marque, dans certains récits, le début des malheurs de Ryangombe : ses troupeaux furent décimés, ses terres devinrent stériles, les arbres de ses forêts s'étiolèrent, etc.

            Dès lors, Ryangombe, le roi dépossédé, apparaît comme un perpétuel errant, en quête de troupeaux, de terres, de nouvelles richesses. Tous les moyens lui sont bons : vol (un récit shi rapporte qu'il vole les ruches ou le miel de Katanazi, son frère de sang), rapt, jeu (une interminable partie d’igisoro (16), le met aux prises avec Mpumutimucuni), magie, etc. Ses suivants Imandwa et notamment Binego, qui passe souvent pour l'un de ses fils, multiplient les exploits d'une égale violence.

            La deuxième séquence rapporte le mariage de Ryangombe. Tous les récits s'accordent à lui donner de nombreuses épouses ou de simples favorites. Le Dieu pariait, on l'a vu, « de-ne-pouvoir-passer-la-nuit-sans-une-femme (différente)-dans-ses bras ». Outre Nyirantakitamuheneka, le mythe réserve pourtant un sort particulier à deux de ces femmes : Nyirakajumba et Nyagishya.

 

A. Ryangombe perd la partie d''igisoro’ qui l'opposait à son demi-frère,    Mpumutimucuni  et  dont l'enjeu était son royaume. Sur le conseil de   jeunes devins, il se met en quête de Nyirakajumba (celle-de-la-patate-douce) qui l'aidera à retrouver son pouvoir. II découvre son  'rugo',  y pénètre de force, se fait offrir du lait par la jeune femme, mais n'accepte que le lait d'une vache blanche. Il le lui crache sur les seins en proclamant « qu'il vient de l'épouser » (ce rite de lustration est en effet essentiel dans le mariage coutumier). Il passe la nuit avec elle et l'abandonne. Nyirakajumba met au monde Binego. Celui-ci mange, âgé de quelques jours à peine, les boeufs de son oncle. Il tue ses grands-parents maternels, son oncle maternel. Il couche avec sa tante - et selon certaines variantes, sa propre mère. Puis il part à la recherche de son père. Il tue, sur son passage, divers Hutu, et retrouve son père plongé dans une nouvelle partie d ‘igisoro’ contre Mpumutimucuni. Il tue celui-ci. Ryangombe retrouve sa royauté.

B. Un jour que Ryangombe se rend à la chasse, il rencontre dans la  forêt une  jeune femme, Nyagishya (celle-du-feu) ‘impenebere’ (« sans seins »), qui   porte sur son dos un enfant sans l’ ‘ingobyi’ (sac en peau de mouton ou de chèvre qui permet aux jeunes mères de porter leur enfant sur le dos).    Nyagishya  exige de Ryangombe une peau sanglante - pour en faire, disent certaines variantes, un ‘ingobyi’. Ryangombe hésite (cet acte équivaut à une reconnaissance de paternité). Mais la beauté de Nyagishya finit par convaincre le dieu. Il passe la nuit dans la forêt avec la jeune femme, après lui avoir offert sa bière.

 

            Les traditions shi précisent que la jeune femme n'est autre que la fille de Mpumutimucuni, le demi-frère du héros.

            La troisième séquence du mythe raconte la mort de Ryangombe. Cette    séquence, dans les versions rwanda, est étroitement associée à la précédente. En voici une version-type, résumée :

 

Ryangombe décide un jour d'aller à la chasse. Sa mère, Nyraryangombe, veut l'en dissuader. De mauvais rêves, pleins de présages néfastes, lui font craindre pour la vie de son fils. Celui-ci s'en moque. En désespoir de cause, Nyiraryangombe  place  sa  ceinture ‘umweko’ en travers de l'entrée du  ‘rugo’ : cette barrière magique ne peut être franchie à aucun prix, Ryangombe l'enjambe (17) sans la moindre hésitation. (Ici, s'insère dans certaines versions, l'épisode  de  sa  rencontre avec Nyagishya).  Au cours  de sa  chasse,  il lève un  buffle ‘mbogo’ monstrueux (il n'a qu'une corne) qui, après avoir tué ses deux chiens, le charge et le projette en l'air. Ryangombe demande aux arbres  de la forêt de le recueillir dans sa chute.  Aucun ne veut le  recevoir, car il a  désobéi  à sa mère. Seule, l'érythrine (rw.  : ‘umurinzi’ (« le  gardien ») ;  shi :’cigohwa’) accepte finalement de l'accueillir. En  mourant sur  l'érythrine, Ryangombe  demande à  ses  serviteurs d'aller  prévenir sa mère et  convie ses  fidèles ’Imandwa’ à de mystiques retrouvailles dans le volcan Ngendo ou Karisimbi. « Que  tous, Tutsi, Hutu  et  Twa,  précise-t-il, m'honorent.  Mes   ‘Imandwa’  régneront  sur  les   esprits   des morts, comme ils ont régné sur les vivants ».

 

            Certaines variantes ajoutent que le buffle monstrueux (au Burundi,   c'est une  antilope géante) qui tue Ryangombe n'est autre que Nyagishya, la   jeune femme sans seins, qui aurait ainsi le pouvoir de la  métamorphose.  Au   Bushi, la mort de Ryangombe est liée au vol, commis par le Dieu, des ruches de Katanazi, son  frère de sang. Celui-ci, pour se venger, met le feu à la brousse où se sont réfugiés Ryangombe et ses mandwa. Le Dieu, cerné par le    feu, y meurt sur le cigohwa (« érythrine »). Enfin, certaines traditions   évoquent encore sa mort par noyade.

            Ryangombe passe aujourd'hui, dans toutes les régions où il est honoré, pour un grand esprit dont la puissance égale - voire surpasse - celle du Dieu créateur lui-même (rw., run. et ha. : Imana ; shi. : Nyamuzinda ou Lungwe). Ayant proclamé sa suprématie sur les esprits des morts Bazimu, auxquels l'on impute traditionnellement la plupart des malheurs qui peuvent marquer le cours d'une existence, il sert de recours contre les maladies, la stérilité des femmes ou des troupeaux, la malchance, la pauvreté, etc. Ryangombe confère donc chance (rw. : gutera umutwe mwiza, litt. : « donner une tête bonne »), richesse, etc. Essentiellement bénéfique, il n'est redoutable que pour ceux de ses imandwa (initiés) qui trahissent le secret (-banga) du kubandwa.

            Le terme kubandwa (litt. ; « être pressé par... » s-e, « l'esprit du dieu ») (18) désigne l'ensemble des cérémonies initiatiques qui confèrent le statut de « possédé », d'imandwa. Ces cérémonies, longues et complexes et dont les structures et la nature varient de région à région, comportent plusieurs phases (offrandes au dieu, sorte de « baptême », « retour au siège », etc.). L'essentiel du mystère réside pour le candidat, dans le fait d'être mis en présence du Dieu et des grands Imandwa desquels les dignitaires de la secte assurent, pour la circonstance, les réincarnations. Le candidat est ainsi « pris », envoûté par l'Esprit, et se trouve ainsi métamorphosé à son tour en « esprit ». Il reçoit alors un nouveau nom secret.

            Cette métamorphose ne s'accomplit qu'au terme d'une suite d'épreuves, souvent des plus pénibles, exigées du candidat, et qui visent à le dépouiller de sa qualité de nzigo (profane). L'étude de tous les scénarios connus des rites du kubandwa, pris globalement, laisse clairement apparaître que ces épreuves visent à rompre systématiquement les interdits (rw. et run : ikizira, miziro) constitutifs de la société profane et à abolir ainsi le statut d'être culturel, comme tel, du nzigo. Les règles qui commandent les trois institutions fondamentales de toute société - celles qui autorisent l'obtention, la circulation et le partage de la nourriture (travail / interdit de l'anthropophagie), des femmes (mariage / interdit de l'inceste) et enfin des messages (langage / interdits linguistiques divers, impératifs de réserve) - se voient ainsi sciemment et systématiquement transgressées. Relevons, pour chacune des trois règles citées :

A. Obligation (seulement verbale au Rwanda ?) de manger de la chair humaine. Dans certaines régions, l'excrément (ou toute autre ordure) s'est substitué à la viande humaine (19). Au contraire, certains aliments habituels sont rigoureusement proscrits : chair de l'antilope mpongo, lie de sorgho au Burundi, patates douces, haricots et petits pois, partout.

B. Obligation pour l’umubandwa de commettre l'inceste (20). La nature   même des miziro (empêchements) au mariage, par consanguinité ou affinité, très étendus (et fort complexes), en facilite la levée. Là encore, selon les régions, et sous l'influence notamment des Missions, l'obligation s'est   souvent transformée en impératif verbal. Nécessité pour le candidat de se livrer - ou de se soumettre - à des attouchements obscènes (coït homosexuel,    dans certains cas, au Bushi). Le « communisme sexuel » est d'ailleurs de règle  dans certaines phases du kubandwa, notamment au Bushi.

C. Obligation pour le candidat d'apprendre le langage secret des Imandwa, qui est systématiquement scatologique (21). Injures d'une obscénité virulente  à l'endroit  des organes  sexuels de la mère.

            La qualité d'initié mandwa qui s'acquiert au terme de ces longs rites de passage, confère à celui qui en est revêtu un nouveau statut qui s'inscrit sur un triple plan :

A. Anthropologique. « Possédé » par l'esprit Ryangombe, l’imandwa n'appartient plus, réellement, au monde des hommes. II échappe à l'ordre de la culture pour entrer dans l'ukuzimu, le monde des esprits de la nature (shi. : emana, run. : bihume) ou des morts (mizimu), avec lesquels il entretient des relations privilégiées tout en partageant un égal pouvoir. La certitude de participer après la mort au « règne » de Ryangombe, dans l'espace des volcans Virunga, intermédiaire entre la terre et la voûte céleste (et non dans le monde chtonien réservé aux morts « ordinaires »), renforce chez l’imandwa le sentiment d'être investi d'un statut différent de celui du nzigo. Les imandwa forment donc une société dans la société. S'ils observent, dans la vie quotidienne, les règles et les pratiques qui réglementent celle-ci, ils n'en gardent pas moins le sentiment très vif de leur autonomie  anthropologique. La loi rigoureuse du secret à laquelle ils sont tenus, contribue à renforcer celui-ci.

B. Economique. L'idéologie même de l'initiation, en  Afrique, entraîne toujours    une certaine redistribution des richesses. C'est un aspect souvent méconnu des ethnologues. Tout savoir, tout pouvoir, ne se transmettent qu'en échange de contre-valeurs économiques. Ainsi le candidat au kubandwa est tenu de verser, entre les mains de ses parrains initiatiques, une dot (vache,   bière, chèvres, sel, outils de fer, etc.) dont l'importance est telle que nombre de candidats ne parviennent jamais à réunir la part qui leur aurait permis de franchir la dernière phase (« retour au siège », kwatura, etc.) de l'initiation. Au Burundi, les baganwa (« princes ») devaient offrir tout un rugo, avec ses terres, à leurs parrains initiatiques. Le chef de ceux-ci portait alors le surnom d'igihweba (22). En échange, le candidat une fois initié, retrouvait la contrepartie de sa dot dans la masse des offrandes exigées des nouveaux candidats, sur lesquelles il détenait un droit de partage. Plus généralement, les imandwa sont liés entre eux par des liens de solidarité (ils sont tous, à travers Ryangombe-Kiranga, frères de sang) qui autorisent les plus démunis à recourir aux autres membres de la société. Le kubandwa entraîne donc une circulation et une redistribution constantes des biens de consommation, des outils et des richesses. Il contribue ainsi, indiscutablement, à l'équilibre de ces sociétés dont l'économie peu diversifiée était particulièrement fragile -dépendante par exemple de la moindre sécheresse. Il importe de rappeler  ici qu'une tradition constante veut précisément que le kubandwa ait été instauré (ou renouvelé) par Ryangombe lui-même, pour faire face à l'une des famines générales (rw.  :  inzara) qui désolaient périodiquement ces régions.

C. Socio-politique. L'on se souvient qu'en mourant, Ryangombe exige d'être honoré de tous et qu'il nomme rituellement les ethnies sur lesquelles il  entend assurer son « règne » : Tutsi, Hutu, Twa. Il importe, pour mesurer la portée de ce message, de rappeler que dans toutes les régions où le culte du Dieu est répandu, des ethnies d'origine et de culture très différentes se sont trouvées forcées de cohabiter entre elles, dans un climat de tension permanente. La structure des relations interethniques de ces populations recouvre le schéma archéologique suivant :

1. Des populations d'agriculteurs d'origine bantu, dites Iro, Shi, Hutu, Ha,  etc. pénètrent dans la zone interlacustre à une époque indéterminée. Planteurs de haricots, de bananes, éleveurs de petit  bétail,  ils  entreprennent  de défricher la forêt (refoulant des peuples pygmoïdes Twa, Cwa, Rha, etc. aux confins des rares lambeaux qu'ils en laissent subsister) et constituent progressivement de petits « royaumes » placés sous l'autorité  mystique du Tambour (Ngoma), dont le détenteur (Mwami : chef, « roi ») tient tous ses pouvoirs. Ces « royaumes » supplantent la structuration politique plus   ancienne  des  clans patriarcaux. Profondément attachés à la terre, ces peuples élaborèrent sans doute, si l'on en juge par comparaison avec les tribus bantu avoisinantes, un savoir très complexe (magie, devination) destiné à comprendre l'univers et à en contrôler les forces.

2.  La disparition rapide de la forêt (elle était  accomplie à c. 80 % au XVe s. selon l'analyse des pollens (23)) favorise l'infiltration et la migration par le Nord (N. - N.-E.) de groupes de guerriers d'origine « éthiopide » (?) (Hima, Hinda, Tutsi, Tusi, Luzi, etc.) à la tête d'immenses troupeaux de vaches (rw., run., shi.  :  -ka) en quête de nouveaux pacages. Ces peuples s'emparent, en Ankore, au Bushi, au Rwanda, au Burundi et  au  Buha, de petits royaumes bantu, et de là, des chefferies voisines, qu'ils entreprennent d'unifier autour de la personne d'un Mwami, détenteur du tambour/roi (institution empruntée aux bantu), qui se proclame, au fur et à mesure des conquêtes, propriétaire exclusif des terres, des troupeaux et des hommes, tout en affirmant sa maîtrise absolue sur le Savoir qui inspirait l'intégralité des   pratiques et des croyances des peuples conquis, mais en axant celui-ci sur de nouvelles valeurs (la guerre, la chasse, et la vache, constamment célébrée comme conquérante (24)) et de nouveaux mythes.

            L'inféodation progressive des bantu n'a pu se faire sans moyens violents : les traditions, notamment rwanda, gardent la mémoire de nombreuses jacqueries paysannes. Mais ces peuples n'auraient pu cohabiter en dépit de tout pendant des siècles, si les tensions créées par les barrières ethniques, économiques et idéologiques n'avaient été modérées par un ensemble d'institutions destinées à créer entre elles des circuits d'échange. Parmi celles-ci, les alliances matrimoniales, le pacte de sang (assez fréquent entre Tutsi et Hutu, Luzi et Shi, etc.) et surtout le contrat de clientèle ubuhake ou ubugabire fondé sur le « don » d'une ou de plusieurs vaches, semblent avoir été particulièrement efficaces. La religion de Ryangombe s'investit d'une fonction semblable. Mieux, les dernières paroles du Dieu semblent annoncer l'abolition des frontières raciales et proclamer en tout cas leur insignifiance.

            De fait, le kubandwa s'ouvre à tous, même s'il est vrai que dans certaines régions, les Tutsi/Luzi éprouvent encore quelque réticence à y pénétrer. Il se définit lui-même comme une famille : « une nouvelle famille », dit-on à l'initié, auquel on énumère soigneusement les devoirs qui le lient à ses nouveaux « parents ». Il arrive qu'un simple Hutu puisse initier un Tutsi du plus haut rang et en devenir ainsi le mwami. Cette famille forme d'ailleurs une sorte d'état dans l'état ou mieux un royaume (bwami) dans le royaume, car Ryangombe est constamment salué du titre de Mwami durant l'initiation. Les structures de ce « royaume » semblent reproduire celles de l'état « profane » : les initiés d'un même clan sont placés sous l'autorité d'un igishegu/imandwa, hypostase de l'un des grands suivants de Ryangombe-Kiranga, et l'initié suprême, réincarnation du Dieu, siégeait de droit à la cour des anciens Bami, shi, rwanda et rundi. La secte comme telle ne disposait que d'un pouvoir politique réduit : certains ibishegu, au Burundi, avaient en apanage (?) l'administration de certaines collines et recevaient, comme tels, le titre de mutware (« chef ») : ainsi Mukakiranga, la femme de Kiranga, « gouvernait »-t-elle la région du Buranga (25). Mais c'est le seul cas venu à notre connaissance où le fait d'être initié comporte des prérogatives proprement politiques. La puissance de la secte repose uniquement sur l'autorité mystique de Ryangombe, son triomphe sur l'empire des morts. Cette autorité est telle, il est vrai, qu'elle donne l'illusion à ceux qui en ont quelque part d'exercer un pouvoir réel – quoique indécis. D'ailleurs le bwami de Ryangombe s'affirme lui-même comme un pouvoir parallèle, voire comme instance d'un pouvoir supérieur à celui de l'ordre institutionnel : le mythe fait du héros divin un éternel contestataire, un « insoumis » constamment en lutte contre les rois « légitimes » - et triomphant le plus souvent d'eux. De même, en fait-il le rival déclaré d'Imana, le Dieu Créateur. A cet égard, l'interdit qui frappe partout les bami (rois civils) de s'initier au culte (seul cas d'exclusion connu) manifeste - en s'offrant à la conjurer - l'intensité du danger qu'encourrait le pouvoir « civil » à tomber sous la tutelle de la puissance magique du Dieu. Un dicton rundi commente cet interdit :

 

« Umwami  ntahagarara  ku  wundi »

« Un roi (Kiranga) ne se met pas debout sur un autre »

 

Et au Bushi :

 

« Abami babiri barhabalamirana »

« Deux rois ne se promènent pas ensemble » (26).

 

L'on sait d'ailleurs que le roi Musinga du Rwanda vit son autorité contestée parce que - n'étant pas appelé à régner- il s'était fait initier (27).

 

            L'autorité et le pouvoir de Ryangombe reposent sur une doxa fort peu élaborée. Le fait religieux comme tel réside davantage dans un rituel, un cérémonial et une sémiologie sacrée qu'en un ensemble de dogmes proprement dits. En cela, la religion de Ryangombe s'apparente à toutes les religions des peuples sans écriture. Le dogme central se fonde sur la mission rédemptrice du Dieu - son triomphe sur l'empire magique des morts - et le pouvoir ainsi conquis de libérer les vivants de la « malchance » - la maladie, la stérilité, la pauvreté.

            Ce dogme, le mythe seul est en mesure de le cautionner puisqu'il n'existe naturellement aucune « théologie » explicite, aucun corpus exégétique qui puissent en assurer la définition. Or, à première vue, le mythe n'assume point ici cette fonction. D'une part, il consacre un certain nombre de faits (vols, assassinats, guerres, amours, etc.) qui sont sans rapports apparents avec la mort du Dieu et qui semblent comme tels privés de toute fonction eschatologique. D'autre part, la séquence finale du mythe suggère que la mort du héros n'est que le châtiment immanent - donc juste - du mépris absolu qu'il affiche contre l'ordre théoriquement infrangible de la mère.

            Loin d'apparaître comme une « victime », dont le sacrifice créerait dans l'ordre mystique de la Justice un déséquilibre tel qu'il appellerait en compensation la grâce, accordée au Dieu, d'une Rédemption qui s'étendrait à tous ses sectateurs, Ryangombe-Kiranga ne semble être qu'un « héros » sans morale, qui finit par lasser l'Ordre et se trouve rejeté dans la mort au moment même où il en franchit les bornes ultimes.

            Cette apparente dys-fonction entre le message explicite du mythe et son rôle théorique (fondateur de rites et caution ultime d'une religion) contraint de supposer au message un sens plus profond et crypté qui requiert de nouvelles lectures.

            Dans la première séquence donc (cf. plus haut) l'accent est mis, l'on s'en souvient, sur l'extraordinaire violence, la férocité frénétique de Ryangombe et de ses vassaux Imandwa. Cette violence se trouve constamment magnifiée dans le paroxysme même, outrancier, de la rhétorique des ibyivugo (Ryangombe : « celui-dont-l'épée-ne-peut-rester-un-seul-jour-sans-chair (humaine) » ; Binego : « celui-qui-se-lave-les-mains-dans-le-sang-de-ses-ennemis » ; Mukasa : « celui-qui-porte-en-collier-les-testicules-de-ses-ennemis », etc.). C'est une anti-morale qui se trouve ici consacrée, ou plutôt une éthique où la destruction, le mépris de la vie s'affirment comme finalité propre. Le mythe magnifie l'impuissance absolue des héros à se soumettre aux règles qui commandent une économie fondée sur le travail, l'échange, la thésaurisation des biens. Au travail, les héros opposent la guerre ; à l'échange, le vol (cf. version shi où Ryangombe vole le miel de son frère de sang), le refus du don (au Burundi, Inakigunu ou Sengoge, l'une des Imandwa, est « celle-qui-ne-donne-jamais-rien »). Même la vache, valeur ultime de ces guerriers-pasteurs, n'échappe pas à la frénésie du gaspillage, car si certains Imandwa (Mukasa et Kagoro notamment) ont pour fonction principale de garder les vaches de Ryangombe, lui-même n'hésite pas à mettre ses troupeaux en gage, dans la partie d'igisoro (shi : muchuba) qui l'oppose à son frère (ou demi-frère) Mpumutimucuni. En tuant son propre fils, Bujinja, Ryangombe provoque la stérilité de ses troupeaux. Mais c'est l’ikisingizo (chant de louange) de son autre fils Binego qui porte ici le message le plus clair :

 

« Je suis, y clame-t-il, le trou qui brise les pattes des vaches mères (il s'agit, on le devine des troupeaux ennemis), je suis le 'rugo' où ne rentrent pas les génisses, je suis la cystite purulente, je passe parmi les vaches de mon oncle paternel (son ennemi) : celles que je vois traire s'épuisent, celles qui étaient pleines ne mettent pas bas... » (28).

 

            Ce refus passionné d'une éthique qui ne serait pas pure gratuité, pure dépense - et refus absolu d'échange - crée autour de lui le désert : car ce ne sont pas les vaches seules de Ryangombe qui deviennent stériles : ses terres, ses pacages et la forêt tout entière sont ravagés et anéantis par lui. Nyirabirungu, l'une de ses filles, est la grande prêtresse de la terre chtonienne, froide et stérile. Mukasa, torrent impétueux, « creuse-jusqu'au-rôcher » en dispersant les terres fertiles.

            Cette valorisation de la « stérilité » est poussée jusqu'à l'extrême, ici encore, par Binego, dont l’ikisingizo clame :

 

« Je  ne  suis   pas, je ne suis pas  engendré, je n'engendre pas, j'empêche que tout enfant s'engendre  après  moi (‘sinkulikiza’) » (29).

 

            Pourtant il ne faut pas s'y tromper. Ce refus apparent de toute morale est une morale du refus. Celle-ci correspond de toute évidence, au-delà de la transcription hyperbolique qu'en donne le mythe, à la morale des anciens guerriers-pasteurs (Cwezi, Luzi, Tutsi, Hima, etc.) qui finirent au cours des âges par supplanter les peuples bantu, agricoles.

            Cette morale reposait sur un impératif économique absolu: la conquête de nouveaux pacages. Le très faible rendement du bétail domestiqué par les pasteurs « éthiopides » (à peine plus d'un litre de lait par jour, pour une seule vache laitière) contraignait ceux-ci à étendre sans fin leurs troupeaux, qui étaient alors leur seul moyen de subsistance. Les troupeaux de plusieurs milliers (voire dizaines de milliers) de têtes n'étaient pas rares. Mais ceux-ci, par leur importance même, constituent le facteur permanent d'un déséquilibre écologique : ils créent, littéralement, le désert dans une lente et inexorable progression. Car une seule tête de bétail réclame en moyenne dix hectares de terre pour pâturer, les sols sont pauvres et le rythme saisonnier des pluies est si lent que les pacages, rasés, labourés par les sabots des bêtes ne se renouvellent pas et se transforment en landes stériles (la zone interlacustre, encore couverte d'une épaisse forêt vers le Xe siècle, était en voie de désertification totale à la fin du XlXe siècle (30)).

            L'impératif d'une conquête régulière, continuelle, de nouveaux herbages exige la mobilisation permanente en vue des guerres inévitables qu'entraînent de telles annexions. En corollaire s'est développée toute une éthique : celle-là même que les jeunes guerriers apprenaient à l'Intorero. Cette éthique était fondée sur la valorisation systématique de la guerre, de la mobilité (ce trait se trouve magnifié dans les ibyivugo de nombreux Imandwa. Ceux du Buha se surnomment eux-mêmes : ibiyaga, « les vents »), du détachement, de la mort. L'assimilation aux forces intangibles et immatérielles : celle du feu, du vent et de l'air, y est constante, et en corollaire, le dégoût pour tout ce qui contraint à la permanence ou en entraîne le désir : la terre, la glèbe, la lente gésine des plantes, l'intolérable attente de la vie. Rien ne doit fixer le guerrier, rien ne peut arrêter le troupeau : ni les morts (leur cadavre était abandonné aux fauves) ni les femmes (la virginité la plus sévère était exigée d'elles en dehors du mariage ; les filles-mères étaient exilées ou mises à mort), ni même, en toute rigueur, la vache. Car celle-ci, selon une loi de la pensée magique universelle, n'avait de valeur que si elle créait le territoire dont elle avait besoin, et les vaches avant même d'être signes de richesses (et, a fortiori valeurs en soi) étaient créatrices de valeur, donc de terres (31). Les vaches sont donc, avant tout, considérées comme des instruments de guerre : leurs immenses troupeaux forment des armées, et même à l'époque où les pasteurs semblent sédentarisés et où la vache s'investit d'une valeur presque exclusivement économique, les troupeaux demeurent sous l'autorité suprême des chefs de guerre.

            Que la morale de Ryangombe et de ses Imandwa, soit - caricaturée, il est vrai, par l'excès même de la rhétorique du mythe - celle de guerriers pasteurs, trouve sa confirmation dans le souverain mépris que les Imandwa affichent à l'endroit des travaux de la terre : Binego, encore lui, en proclamant qu'il a tué trois femmes hutu : « Celle-qui-cultive-les-bananiers, Celle-qui-cultive-les-patates-douces, Celle-qui-retourne-les-herbes-avec-sa-houe et que, depuis plus personne ne s'occupe des jachères, plus personne ne s'occupe des bananes, plus personne ne s'occupe des patates douces », semble par cette énumération, vouloir désigner l'ensemble des activités des agriculteurs bantu, pour en abolir la valeur. Rappelons d'ailleurs que parmi les prohibitions alimentaires qui frappent les initiés, on relève les produits qui forment la base de la nourriture des paysans : patates douces, haricots, petits pois, etc., exclus au profit d'une alimentation purement pastorale : lait, bière et viande de vache. Le langage « secret » des Imandwa traduit le dégoût absolu des pâtes et des féculents, tout en magnifiant le lait et le miel :

 

 

 

Elément

nom rwanda

nom secret

signification

+

lait

amata

amaijya

« le beau »

+

vache

inka

nvizihiza

« celle qui don­ne le bonheur »

+

miel

ubuki

ubununa

« le bon »

-

pâtes

umutsima

umuhomannyo

« ce qui obstrue l'anus »

-

haricots

igishyimbo

igihimbajya

 

ibirimunnyo

« ce qui fait péter »

« ce qui est dans l'anus »

-

feuilles de haricot en légumes

umushogoro

umufokora

« ce qui élargit l'anus »

(32)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

           

 

 

 

 

           





             Le mépris affiché par le mythe pour l'univers des paysans est tel et s'oppose d'une manière tellement criante au message « universaliste » du Dieu qu'au Burundi, le cérémonial a dû mettre en place une instance compensatoire : Inamukozi, l'une des femmes de Kiranga, y incarne la « cultivatrice ». Lors de ses manifestations, elle se livre avec frénésie au travail de la houe, piochant tout sur son passage.

            Surtout, elle ne supporte pas la vue de la vache. Lorsqu'elle en aperçoit, écrit le P. Zuure, « elle entre en fureur, elle insulte les vaches, ‘ces choses à poil’ (binyaboga). ‘Elles vont abîmer mes champs’. Elle brandit une serpette, veut se lancer sur elles pour les tuer. Les hommes s'emparent d'elle pour l'en empêcher. ‘Je ne veux pas de ces saletés, dit-elle, je me nourrirai plutôt de sogo (plante sauvage, amère, que l'on mange comme légume)’. » (33). Il est vrai qu'au Burundi, la secte avait tendance à se restructurer selon les clivages ethniques traditionnels : ainsi, selon P. Baranyanka, Hutu et Tutsi n'honoraient pas les mêmes Ibishegu. Mais même au Bushi, où la prise de pouvoir par les pasteurs Luzi semble avoir créé moins de conflits que dans les régions voisines, la vache (inkavu), désignée dans le langage des Imandwa par un terme qui signifie « profit », « trésor » (yomangenda), est également surnommée cinyabuligo,, ce qui peut se lire indifféremment : « celle-qui-chie-mauvais » ou « celle-par-qui-le-malheur-arrive » (34).

           

            Si l'on examine à présent la seconde séquence du mythe - celle du mariage de Ryangombe (voir plus haut) -, l'on retrouve la même impuissance, manifeste chez le Dieu, à se plier à la moindre des règles, des interdits (-ziro), qui commandent la circulation et l'usage des femmes.

            Le chapitre, fort complexe, de la sexualité du héros et de ses vassaux pourrait faire à lui seul l'objet d'une étude. Nous nous bornerons à en relever ici quelques traits essentiels.

            Rappelons tout d'abord que le Dieu, dans son icyivugo, est « le-parieur-de-ne-pouvoir-passer-la-nuit-sans-une-femme (diffé­rente) dans-ses-bras ». Pari inscrit dans le parallèle direct de celui qu'il engage sur son épée qui, elle, « ne peut passer une journée sans chair ». La femme est donc l'ennemie de la nuit, victime désignée au sexe-épée du héros, pour qui le jour est l'espace du meurtre et la nuit celui du viol. Les mythes, shi notamment, précisent en effet que c'est le mode habituel pour Ryangombe de connaître les femmes. Binego, mime caricatural de son père, annonce plus clairement encore, dans son icyivugo, qu'il est le « tueur-des-femmes », qu'il désigne d'ailleurs d'un terme tellement méprisant (« les-vaches-sans-cornes » - êtres-sans-valeur-guerrière) que l'on ne l'applique qu'aux chiens.

            Des nombreuses femmes que le mythe accorde à Ryangombe, il en est trois (outre la mère du héros, sur laquelle on reviendra ailleurs) auxquelles il réserve un rôle particulier. Toutes trois offrent quelque anomalie, soit anthropologique, soit sociologique.

            La première, Nyirantakitamuheneka (« celle-qui-se-renverse-devant-nimporte-qui »), est une sorcière atteinte de continuelles fringales sexuelles : elle prend un malin plaisir à tromper Ryangombe avec n'importe quel passant. Sorcière (son rugo, précise le mythe, est construit dans la forêt), elle envoûte ceux qu'elle désire. C'est ainsi qu'elle charme Bujinja, son beau-fils, et cause ainsi sa mort - provoquant indirectement la ruine du royaume de Ryangombe.

            Nyirakajumba (« celle-de-la-patate-douce »), la mère de Binego. Elle n'est pas nommée dans la tradition shi, où elle est désignée comme « une jeune sorcière » (fille d'ailleurs d'un sorcier) que Ryangombe viole. Dans les versions rwanda, elle est désignée au héros par un collège de jeunes devins (bapfumu), comme celle qui doit le sauver de la ruine. Il l’ « épouse » par ruse, en crachant, on s'en souvient, du lait sur sa poitrine (dans le mariage coutumier, l'époux accomplit un geste semblable) mais sans observer le moindre des autres rites (très nombreux) qu'exige le cérémonial ordinaire du mariage. Enceinte, elle se voit abandonnée par le dieu. Son fils, Binego, vengera son père en tuant Mpumutimucuni, mais il commet l'inceste avec elle. Les prodiges réalisés par Binego, tout jeune, ne s'expliquent que si l'on admet avec le mythe shi, que Nyirakajumba est sorcière.

            Nyagishya (« celle à qui “la chose” brûle »), enfin, cumule les anomalies : c'est tout d'abord une impenebere, une femme dont les seins ne sont pas développés. Ces êtres, incapables d'allaiter (donc de fonder une famille), passaient pour des monstres et, comme tels, étaient rejetés de la société : on les exilait ou on les supprimait (on les abandonnait aux bêtes fauves, ou on les jetait au fond d'un gouffre). En dépit de tout, Nyagishya est mère (une variante laisse entendre que le père de son enfant n'est autre que Ryangombe), mais en portant son enfant sans ingobyi (sac de portage), elle affiche que son enfant est sans père légitime. Ici encore, il s'agit d'une anomalie : les filles-mères, lorsqu'elles ne parvenaient pas à avorter, étaient traditionnellement mises à mort. Enfin, Nyagishya est anthropologiquement un monstre : elle est velue, disent certaines traditions, et surtout, elle possède le pouvoir inquiétant de se métamorphoser en bête. Elle appartient à cette catégorie - bien représentée dans les contes rundi, rwanda et shi - des bihindure : sortes d'ogres ou loups-garous qui, la nuit, se transforment en lycaons, en chacals ou en léopards. Une variante très précieuse, rapporte que ce qu'elle exige de Ryangombe, avant de se transformer en buffle pour le tuer, n'est autre que du sang (d'homme ?). C'est pour avoir accédé à cette demande que Ryangombe serait mort : cet élément du mythe cautionnerait le rituel anthropophagique de l'initiation kubandwa. Le mythe précise que Ryangombe trouve du charme à cette femme-monstre, qu'il s'en éprend réellement et que pour une fois, il observe avec elle un cérémonial d'échange (don de bière, étalage d'une natte sur le sol lorsqu'ils couchent ensemble dans la brousse). Enfin, rappelons-le, selon la version shi, Nyagishya était sa propre nièce - qu'il n'avait pas reconnue.

            De ces trois femmes, relevons qu'elles appartiennent toutes au monde de la sorcellerie. Elles s'insèrent ainsi dans cet espace mythologique qui est à la fois en-deçà et au-delà de la culture. Aucune des trois n'est réellement capable de s'intégrer dans le circuit normal de l'échange matrimonial et de s'accepter comme productrice d'alliances : il s'agit bien, comme le dit Binego de toutes les femmes, de « vaches sans cornes ». Toutes, à un titre quelconque, sont incestueuses : elles ignorent les interdits qui nécessitent le don, s'arrogeant un pouvoir proprement princier (l'inceste royal était toléré au Bushi et au Rwanda). L'une, offerte à tous, semble rendre l'échange inutile : elle provoque la ruine de Ryangombe en séduisant son fils Bujinja. L'autre, Nyagishya, par sa morphologie même (impenebere), se trouve exclue du mariage et rend l'échange impossible : elle tue Ryangombe. La version qui en fait un monstre anthropophage est particulièrement précieuse : l'anthropophagie est une forme d'inceste, l'on « consomme son semblable » (coucher ensemble, entre frère et sœur, est rendu au Bushi et ailleurs par un terme qui signifie « se manger soi-même ») (35). Reste Nyirakajumba, seule femme apparemment accessible des trois, soumise à son statut. Mais ici c'est Ryangombe qui se montre incapable de se plier au cérémonial : aucune demande en mariage (mieux, le père ou l'oncle de Nyirakajumba est hostile au héros, qu'il traite de brigand et de vagabond), pas de dot (prérogative princière), aucune alliance familiale réelle. C'est par ruse qu'il épouse Nyirakajumba, et il l'abandonne aussitôt après. Le mythe semble pourtant valoriser la parodie de rituel auquel il s'est soumis (sur le conseil, ne l'oublions pas, de devins bapfumu) puisque Binego, le fils qui naîtra de son union, sauvera - momentanément - son royaume, en tuant Mpumutimucuni. Mais est-ce si sûr ? La relation fils (Binego) - père (Ryangombe) est constamment magnifiée dans le mythe car elle s'impose comme le paradigme de la relation initié - initiateur dans l'économie du kubandwa. Mais l'on doit se souvenir que selon la version shi, la femme qui se transforme en buffle n'est autre que la fille de Mpumutimucuni, qui vengerait ainsi son père. Binego serait donc, par son inconscience, la cause lointaine de la mort de Ryangombe. Une étude plus approfondie devrait d'ailleurs interroger la relation réelle de Binego et de sa mère : dans certaines versions, il fréquente sa couche, devançant ainsi rituellement l'assassinat de son père. Dans d'autres, il tue une certaine Nyirakajumba, qui n'est point signalée comme sa mère mais sa belle-mère (elle lui refuse des patates), voire un(e) Hutu cultivateur (-trice) de patates douces (36). Cependant, il arrive régulièrement dans les imigani (contes) de la littérature interlacustre qu'un personnage se trouve dédoublé - cela pour permettre au héros du conte d'accomplir sur lui, ou avec lui, des actions apparemment contradictoires ou inconciliables. Le Nyarakajumba-hutu planteur de patates pourrait donc n'être qu'un doublet narratif de la mère de Binego.

            L'on croit deviner la raison de l'ambiguïté que le mythe laisse subsister sur les rapports de celle-ci avec Ryangombe et son fils Binego. Nyirakajumba n'est, de toute évidence, que l'humble représentante du monde des cultivateurs (hutu, shi, ha, etc.) : la patate douce (rw. : ikijumba ; shi : cijumbu) se dit dans le langage des initiés rwanda igitakura : « celle qui ne pousse pas ». Elle est le symbole même de la paysannerie agricole : il était interdit aux gardiens des vaches, même hutu, d'un consommer. Au Buha, selon le P. Van Sambeek, la vue seule de la patate était de nature à provoquer la mort des initiés ibiyaga (37). Dans le cérémonial rundi, c'est Nyirakajumba qui, sous le nom de Mukakiranga, jouait un rôle essentiel dans l’Umuganuro (rite annuel des semailles du sorgho) (38). Femme hutu, elle est pour Ryangombe celle qui lui rend, momentanément, la « royauté » grâce au fils qu'elle lui donne : les femmes, singulièrement cultivatrices, détiennent les forces magiques de la terre. Mais, en même temps, c'est la femme que l'on ne peut épouser officiellement, celle que l'on prend par ruse et que l'on ne dote pas. Car la dot consistait traditionnellement en une - ou plusieurs - vaches. Or, si la famille de Nyirakajumba possède des vaches (l'on sait que les bantu avaient domestiqué une variété de vaches à courtes cornes dont on trouve encore des spécimens chez les Lega et les Bembe du Zaïre, par exemple), elle en ignore le bon usage. Elle ne connaît pas les qualités du lait amata. Le mythe insiste, avec pesanteur, sur ce point. Nyirakajumba offre au héros le lait d'une vache rousse (c'est la vache crépusculaire : le lait mâle), puis d'une vache noire (le lait des morts) (39). Enfin, elle lui propose le lait d'une vache blanche (celle du jour et de la vie) et c'est seulement alors que Ryangombe le lui recrache sur les seins en clamant « qu'il vient de l'épouser ». Le rite est d'ailleurs un peu inhabituel, car traditionnellement, des plantes mâchées étaient mêlées au lait que le mari crachait au visage de sa femme. Ryangombe semble refuser le savoir propre à l'univers de son épouse : celui des plantes. Le « contrat » ne repose que sur le lait seul. Ce fait est d'autant plus significatif que la mixture crachée au visage de l'épouse symbolisait sa descendance (40). En dernière analyse, le mythe semble par ces précisions vouloir conjurer la valorisation qu'apparemment, il entendait tout d'abord assurer de la magie et de la sorcellerie paysannes. La mise à mort par Binego d'un(e) Nyirakajumba, doublet narratif de sa propre mère, irait dans le même sens.

            D'une manière générale, l'on serait tenté d'affirmer que l'image de la femme qui se dégage du mythe apparaîtrait comme entièrement négative si d'une part tous les êtres féminins qui y figurent n'étaient des sorcières (donc des êtres anthropologiquement anormaux) et si par ailleurs Ryangombe ne se montrait incapable de se soumettre aux règles qui commandent traditionnellement leur obtention.

            Le rituel du kubandwa est peut-être le plus explicite sur l'idéologie globale relative à la femme que partage la secte.

            Au kubandwa, toute différenciation sexuelle est niée. Ryanbombe et ses Imandwa passent indistinctement pour homme ou femme et peuvent être indifféremment représentés par l'un ou l'autre sexe. Dans le cas où Ryangombe est donné comme un être femelle, Binego passe pour son mari (41). Le plus souvent, Ryangombe s'affirme comme un dieu hermaphrodite : le grand pot à bière (shi : cibiribindi ; run. : umubindi) qui en assure partout la représentation porte l'emblème double des organes sexuels féminins et masculins.

            Cette indifférenciation est appelée naturellement par la nature même du nouveau statut auquel les initiés sont censés accéder : les esprits n'ont pas de sexe. Au Bushi, certains imandwa, les Ntazi, changent même définitivement de sexe : ils s'habillent en femmes et se comportent comme telles, vivant avec de jeunes garçons, etc. (42). L'on conçoit également que l'ordre nouveau qu'instaure le règne mystique de Ryangombe entende abolir non seulement les frontières ethniques mais aussi la séparation des sexes qui commande la répartition et l'organisation du travail. Ici encore, le kubandwa manifeste son refus des règles traditionnelles qui régissent la production et l'échange des biens de consommation.

            Cependant, le langage des Imandwa révèle que l'indifférenciation qui est la règle de la secte, se fait surtout au profit de l'ordre mâle : le femme y est qualifiée de « putain » (shi : ngonakazi), de « tordue » (rw. : umugorama), de « chien » (shi : kakungu, « animal sans corne ») et encore de « réservoir d'urine » (rw. : uruhagatamanga). Ses organes génitaux, notamment ses imishino (« nymphes élongées artificiellement »), sont qualifiés de « bouillie » (ha : ubugari) ou de termes plus grossiers encore, évoquant les fonctions excrémentielles. « Enfanter », dans le langage des Imandwa du Bushi, du Rwanda, du Burundi et du Buha , est rendu par un mot qui signifie également « déféquer » (-buta) - détail qui traduit à lui seul toute une idéologie (43).

            Celle-ci semblera, au premier abord, d'autant plus surprenante que dans ces régions, comme partout ailleurs dans le monde bantu, l'enfant constitue la valeur suprême, et que le kubandwa s'offre comme l'ultime recours, le seul espoir des femmes stériles. Le P. Colle notait d'ailleurs que la quasi totalité des femmes nubiles étaient, au Bushi, initiées au kubandwa, et il en concluait que la secte était, avant tout, destinée aux femmes. Mais l'on commence à comprendre pourquoi : l'idéologie qui en commande souterrainement les fonctions repose avant tout sur une éthique essentiellement guerrière et mâle. Celle des peuples « éthiopides » pour qui la femme n'est jamais qu'un mal nécessaire. L'on ne saurait naturellement évoquer ici, même superficiellement, le statut fort complexe de la femme dans le monde pastoral, patriarcal et patrilocal de la zone Interlacustre, où les reines-mères jouaient cependant un rôle fondamental et où il n'était pas réellement exceptionnel que des femmes accèdent à l'ubutware (« dignité de chef »). Leur statut connaissait de nombreux amendements régionaux, voire familiaux. Néanmoins, l'on relèvera comme trait significatif l'interdiction qui leur était faite de traire les vaches, ce qui eût rendu celles-ci stériles. Par ailleurs, le prix attaché à la virginité (inconnue partout ailleurs et même au Bushi), le traitement réservé aux filles-mères, semblent être les traits spécifiques d'un peuple anciennement nomade et guerrier.

            Il faut de surcroît préciser que les femmes se livrent au kubandwa dans l'espoir d'enfanter, avant tout, des mâles. Kiranga, lors de l'initiation, émet, significativement, le voeu : « que les vaches donnent des filles et que la femme mette au monde des mâles » (na umunyankanda avyare amashuri) (44). L'idéologie de la secte est tellement marquée par les valeurs de l'univers masculin qu'ici encore, au Burundi, le cérémonial a dû instaurer un rituel de compensation : durant l'une des phases de l'initiation, une des femmes de Kiranga, Nyamuhindurwa (du radical -hindurwa : « être changé (en bête) » (le P. Zuure, qui rapporte le fait, pense sans doute avec raison, qu'il s'agit de la femme-buffle, responsable de la mort de Ryangombe)) fait semblant de vouloir chasser Kiranga de son trône et celui-ci ne parvient à la calmer qu'en lui offrant des étoffes (45).

            L'ordre économique et l'institution matrimoniale ne sont pas les seuls systèmes desquels Ryangombe et ses Imandwa ignorent délibérément les règles et les interdits. Les liens privilégiés que forme l'ordre familial, les attitudes de respect et de déférence que réclame chacun, selon la place qu'il occupe dans la hiérarchie de la parentèle, se voient constamment refusés par le Dieu et ses servants. Binego assassine, selon les versions, ses oncles, ses grands parents paternels et peut-être, on s'en souvient, sa mère. Il tue le demi-frère de son père et le fils que celui-ci avait eu de Nyagishya. La relation qu'il entretient avec son père est la seule que valorise le mythe. Mais l'on sait pourquoi. Quant à Ryangombe, il tue son fils Bujinja, méprise la fraternité de sang qui le lie à Katanazi et surtout, il désobéit de la manière la plus grave, la plus outrageante, à sa propre mère. Car il ne se contente pas d'ignorer ses présages, il lui ment (il lui fait croire qu'il n'ira pas à la chasse). Enfin, il franchit la barrière magique (la ceinture) mise par elle en travers de la sortie du rugo. C'est ce geste, l'on s'en souvient, que le mythe donne comme la cause explicite de la mort du héros et qui justifie le refus des arbres de l'accueillir. Sans l'érythrine, celui-ci se serait vu dans l'impossibilité de proclamer son message et d'assurer sa rédemption.

 

            Le mythe (tout comme le rite qui en reproduit les éléments idéologiques et les instants dialectiques fondamentaux - il est aisé, à présent, de le percevoir) organise à travers les faits et gestes des héros qu'il présente une apologie suivie de l'insoumission aux règles constitutives de l'ordre culturel. Cette apologie s'appuie sur une éthique, s'inspire d'un mode de vie spécifiquement guerriers et pastoraux où les valeurs de l'univers paysan et féminin se trouvent systématiquement quoique souterrainement dénigrées. L'éthique guerrière du kubandwa promet à ceux qui se soumettent à ses impératifs, un nouveau statut, où la mort, la faim et la stérilité se voient abolis.

            Une question dont la réponse définitive devrait engager des éléments fort complexes est posée par le parallélisme surprenant qu'offrent le mythe de Ryangombe et certains imigani (contes) répandus dans toute la zone interlacustre. Ces contes mettent en scène des héros qui ignorent l'ordre culturel et s'en trouve automatiquement rejetés, soit en mourant soit en se voyant métamorphosés en animaux. Le cycle de Rusararubenga (« la folle qui refuse ses prétendants ») est à cet égard particulièrement éclairant :

 

« Rusararubenga refuse tous les prétendants que lui proposent ses parents. Elle veut épouser un homme qui crache des perles. Elle refuse successivement un roi, un noble, un paysan et un pygmée qui n'ont pas ce pouvoir. Le roi décide de se venger. Il envoie un chacal, déguisé en beau jeune homme (il appartient à la catégorie des 'bihindure'), qui lui crache des perles au visage. Elle s'éprend de lui ; le suit dans la forêt et l'épouse. Son ‘mari’ se transforme en chacal et convie ses amis (ogres) à venir lécher le corps nu de sa femme (dans une autre version, ils la saignent). Rusararubenga parvient à s'enfuir, grâce à des amulettes magiques.  Mais le fils du chacal la retrouve la tue et la mange » (46).

 

            Ces héros, parce qu'ils ignorent les règles qui régissent l'ordre culturel, se voient rejetés dans un en-deçà de culture : le monde des morts et des animaux. Ce sont significativement les bihindure qui les y attirent.

            Ryangombe franchit les mêmes interdits, rencontre les ogres-bihindure et meurt. Mais lui, se trouve projeté dans l'au-delà de la culture : le monde des esprits. Cette différence de traitement trouve partiellement, nous en ferons la démonstrations ailleurs, sa justification dans les éléments du mythe propre à la mère du héros.

            Le mythe de Ryangombe a une double fonction objective. D'une part, il entend affirmer naturellement que l'ordre nouveau du kubandwa ne saurait en au­cun cas, se substituer à l'ordre culturel proprement dit. D'autre part, en affirmant que l'éthique guerrière et pastorale qui l'inspi­re est de nature à abolir l’en-deçà culturel, il prive le monde paysan de son ultime pouvoir. Il faut savoir, en effet, que les conquérants « éthiopides » avaient laissé aux cultivateurs une seule prérogative réelle : celle de s'occuper des morts. Au Burundi, par exemple, seuls les Hutu étaient habilités à conserver les cadavres des chefs et des rois. Ils vivaient en compagnie du mort, attendant pour le nourrir le serpent qui devait en assurer la réincarnation, etc. (47). Obscurément, le peuple conquérant reconnaissait ainsi la réalité du pouvoir que détenaient les paysans conquis sur la terre ancestrale (domaine des morts). Au Bushi, c'était aux pygmées Rhwa que ce pouvoir était reconnu par les chefs Luzi (48). Le mythe de Ryangombe entend conjurer à jamais cette ultime prérogative.

 

            Les conclusions de notre analyse se tirent d'elles-mêmes. Le mythe qui inspire le rituel du kubandwa et cautionne ainsi la religion de Ryangombe-Kiranga, permet à tous les adeptes d'accéder à une forme de pouvoir d'essence mystique – qui serait purement symbolique s'il ne procurait de réels avantages économiques. La source et la réalité de ce pouvoir sont clairement assignées à la morale des peuples conquérants, pasteurs et guerriers. En s'ouvrant à tous, en niant les frontières raciales, c'est évidemment aux peuples conquis que s'adressait cette institution. Tous les observateurs admettent d'ailleurs que le kubandwa est postulé massivement par les paysans, alors qu'il suscite toujours une certaine méfiance chez les nobles pasteurs (49).

            La fonction de la religion de Ryangombe pourrait être comparée à celle d'un intorero (gymnase guerrier, réservé en principe aux nobles pasteurs), mais qui s'ouvrirait à tous, s'étendant à une région tout entière. En somme, les peuples conquérants auraient retrouvé dans la mythologie de Ryangombe, d'essence « éthiopide », et la religion qu'elle inspire, une instance de compensation pour les peuples conquis. Grâce à celle-ci, ces peuples, en retrouvant un pouvoir symbolique dont le régime ne se constitue que dans l'au-delà, auraient abandonné d'autant plus facilement le pouvoir politique et réel qu'ils détenaient autrefois, tout en partageant ainsi l'idéologie même du peuple conquérant.

            En ce sens, c'est avec la structure de l'ubuhake ou de l'ubugabire que le kubandwa offre le plus d'analogie : ce contrat, mis en place par les peuples pasteurs, constituait l'un des fondements essentiels de l'organisation politique et économique des anciens états de la zone interlacustre. Il reposait sur le « don » d'une ou de plusieurs vaches. Le « donateur » demeurait cependant propriétaire du bétail offert - le bénéficiaire n'en ayant que l'usufruit. En revanche, ce dernier (le plus souvent un paysan) se mettait au service du donateur, qui devenait son « patron » (shebuja) et auquel il devait une multitude de prestations de toute nature (50).

            Le « pouvoir » offert par le kubandwa, ne s'exerce que symboliquement : il s'apparente à l'usufruit d'un pouvoir dont la réalité ne pourra se vivre que dans l'au-delà mais dont la propriété actuelle demeure, de toute manière, entre les mains de ceux qui en créent l'illusion, grâce aux mythes dont ils sont seuls à contrôler le sens (51).

 

 

PRINCIPALES RÉFÉRENCES

 

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II. Entretiens enregistrés avec divers Batembo et Bacwa Bembe de la société 'Alongo (195 h.).

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LESTRADE (A.), 1955

La médecine indigène au Rwanda, Bruxelles, A.R.S.C.

 

LEVI-STRAUSS (CL), 1949

Les  structures  élémentaires de la parenté, Paris, Mouton.

 

MASSON (P.), 1960

Trois  siècles chez  les Bashi, Tervuren, M.R.A.C.

 

MOELLER (V.G.), 1936

Les grandes lignes des migrations des Bantous de la Province Orientale du Congo Belge, Bruxelles, I.R.C.B.

 

MULAGO (V.), 1969                                

« Le   culte  de Lyangombe chez les Bashi et les   Banyarwanda », Cahiers des religions africaines, t. III, n° 6, pp. 299-314.

 

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Les chemins de la sagesse. Imana et le Murundi, Louvain-la-Neuve, Centre d'Histoire des Religions.

 

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1968 sv.                    

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ZUURE (Le P. B.), 1929                           

Croyances et pratiques religieuses des Barundi, « Bibl. Congo », n° XXII, Bxl, éd. de l'Essorial.

 

Pour l'aire rundi, l'on dispose désormais de l'excellente Documentation bibliographique sur le Burundi du P. F. RODEGEM (avec la coll. de C. Bakara) (Bologne, EMI, 1978, 348 pp. in-4°).

 

 

NOTES

 

1. Ryangombe est le nom le plus répandu dans toute la zone interlacustre. Kiranga   est un surnom connu surtout au Burundi et au Buha.

2. Le P. RODEGEM, 1971, p. 865 sv., donne la liste la plus complète à ce jour des   zones linguistiques où le culte est répandu. Il faut y joindre la zone holoholo, où  Ryangombe est l'esprit du Tanganyika (cf. R.SCHMITS, Les Baholoholo, Bruxelles,   1912, p. 233), et la zone metuku où Kiranga est un esprit thérapeute (MOELLER,   1936, pp.  360 et sv. ).                                                                 

3. L'on a peu de données statistiques sur la proportion des adeptes par rapport à la  population d'une région : le P. COLLE (cf.  GOSSIAUX, 1973, III, p. 158) estime que chez les Bashi, « presque toutes les filles nubiles sont vouées à Lyangombe », tout  en reconnaissant aussi l'extrême importance de la représentation masculine. Le P. VAN SAMBEEK (1949, t. I, p. 64) estime à 50 ou 60 % de la population globale le nombre d'initiés chez les Ha. Il nous semble que ce chiffre pourrait être étendu valablement aux autres régions (avant les Missions s'entend).

4.  Cf. E. JOHANSSEN,  1925.

5. Ces versions ont été récoltées successivement par ARNOUX (1912-1913), JOHANSSEN (1925), PAGES (1933), COUPEZ & KAMANZI (1962), BIGIRUMWAMI  (1968) et GOSSIAUX (1972, II). Les quatre premières de ces versions se trouvent résumées et commentées par DE HEUSCH (1966, pp. 203 sv.). BIGIRUMWANI  (1968) offre le matériel le  plus  riche et le plus complet.

6. Cf. COLLE, 1937, dans GOSSIAUX, 1973, III et GOSSIAUX, 1972, I. Pour l'aire rundi, voir  ZUURE (1929), RODEGEM (1971), VANSINA (1972), Que vous en semble ? (1972, V.1) et GOSSIAUX (1973, I). Pour l'aire Ha, l'on ne dispose guère que des données de VAN SAMBEEK (1949, I).

7. Sur la littérature de ces régions et ses genres, voir surtout COLLE, 1937 (éd.    1971, pp. 144-208), KAGAME, 1951, COUPEZ & KAMANZI, 1970, RODEGEM,   Anthologie rundi, Paris, A. Colin, 1973. Cf. du même auteur, « La  fonction hyperphatique du langage », dans Culture et Développement, n° (197), pp. 277-303.

8. Formé sur le rad. -jumb : « patate douce ».

9. Formé sur le rad. -sinde  :  « motte  de terre retournée à la houe ».

10. Formé sur le rad. -toke : « régime de bananes ».

11. Demi-frère de Ryangombe.

12.  Sur ce roi rwanda, cf. D'HERTEFELT, 1962, pp. 20 sv.

13. Ecole de guerre, de danse, de poésie, réservée aux fils des nobles pasteurs (cf. D'HERTEFELT, 1962, pp. 64-65).

14. Cette dernière expression désigne, dans le langage rwanda, les « sauvages » de l'ouest : Shi ou Banyabungo.

15.  Cf. BIGIRUMWAMI, 1968, pp. 21 sv.

16. Sorte de jeu de dames ou de trictrac, connu dans toute la région interlacustre ; muchuba, chez les Shi (cf. COLLE dans GOSSIAUX, 1973, III, p. 181).

17. Sur la symbolique de la barrière du rugo et la sémantique du geste de   l'enjambement, cf.  GASARABWE, 1978, pp. 174-194 et 298-303.

18. Cf. DE LACGER, 1939, I, pp. 253-254, KAGAME, 1967, p. 760 et RODEGEM, 1970, p.  23.

19. La transgression d'un tel interdit est d'autant plus notoire que l'anthropophagie suscite dans toutes ces régions, une répulsion profonde. Seuls les Batwa  (pygmoïdes) s'y livraient couramment avant la pénétration européenne (cf. A.M. SCHUMACHER, Die Physische und soziale Umwelt der Kivu-Pygmäen, Bruxelles, 1949, pp. 41, 184, 193-194. Bien qu'il s'agisse de l'un des secrets (ibanga) les mieux gardés de la secte et qu'il ait été ignoré de nombreux ethnologues (le plus souvent, l'on ne fait que mentionner l'existence de sacrifices humains au kubandwa  -  cf. p.  ex.  VAN  DER BURGT, 1903, p. 107), l'impératif existe, comme cela nous a été confirmé par plusieurs de nos informateurs shi, rwanda et rundi. Tous nient s'être livrés eux-mêmes à tel rite, sinon en paroles. Tous en imputent la pratique à d'autres ethnies ou à d'autres clans. Cf. par exemple, P.BARANYANKA (GOSSIAUX, 1973, I) : à la question qui lui était posée sur l'obligation faite aux Imandwa de commettre l'inceste (run : kugôka), il répond : « ce n'est pas vrai. Mais il y a des gens qui mangeaient parfois de la chair humaine pendant qu'ils étaient en train de kubandwa. Mais ces coutumes venaient du Buha » (sur la confusion entre inceste et anthropophagie, cf.       infra, n. 35). L'obligation à l'anthropophagie est inscrite dans le rituel, même où elle a trouvé des substituts : Ryangombe exige que le candidat soit mis à mort et dépecé. Les Imandwa proposent alors au candidat d'offrir une vache en échange de son propre corps. Parmi les autres substituts, l'on  mentionne l'excrément, ou  - à  tout  le moins - des herbes cueillies à un endroit « où les gens avaient déféqué » (RODEGEM, 1971, p. 871). Nous ne pensons donc pas comme DE HEUSCH (1966, pp. 354-362), que l'anthropophagie fût le seul fait d'une sorte de kubandwa  « noir » qui se serait développé d'une manière aberrante en marge - et contre - le kubandwa « blanc ». Ajoutons que les sectateurs de Nangayivuza (Burundi), dont l'idéologie et le rituel offrent des analogies frappantes  avec  ceux  du  kubandwa, ont  également fait de l'anthropophagie l'un des impératifs essentiels de l'initiation.

20. Les remarques sur lesquelles s'ouvre la note précédente sont  également valables ici. Cf. la suite de la réponse de Baranyanka : « Au Burundi, il était interdit de commettre l'inceste. Seulement pendant qu'on était en train de kubandwa, on changeait de langage, car on devait être grossier. On disait en présence de sa mère qu'on désirait coucher avec elle : elle aussi disait qu'elle souhaitait coucher avec son fils. Mais ils ne commettaient pas cela. On devait dire des grossièretés pendant qu'on faisait kubandwa. On donnait à un objet ou à un homme un nom qui n'est pas convenable en l'insultant ou en inversant son nom ». Sur l'obligation à l'inceste, voir encore RODEGEM, 1970,  p. 22 sv., -bandwa.

21. Cf. la fin de la note précédente. Au Rwanda, ce langage portait le nom d'urukonjo. Sur ses composantes linguistiques, cf. BIZIMANA, 1973. ARNOUX, ZUURE, COLLE et VAN SAMBEEK fournissent d'autres listes lexicales. Une étude compara­tive systématique reste à faire.

22. Cf. P. BARANYANKA (GOSSIAUX, 1973, I).

23. Communication de J. LEWALLE.

24. Cf. A. KAGAME, 1961, passim.

25. Cf. P. BARANYANKA (GOSSIAUX, 1973, I).

26. Cf. COLLE, 1937 (éd. de 1971, p. 191).

27. Cf. ARNOUX, 1912, p. 290.

28. Cf. ARNOUX, 1912, pp. 846-847.

29. ibid.

30. Cf. H. GUILLAUME, « Les populations du Ruanda et de l'Urundi » dans Nat. Belges, 37 (1956), pp.  317-361, D. ADAMANTIDIS, Monographie pastorale du Ruanda-Urundi., Bull. Congo Belge, 47 (1956), pp. 585-670, et J. LEWALLE, Les étages de végétation  du  Burundi  Occidental, Bujumbura, 1972, pp. 5-17 et passim.

31. Toute la poésie pastorale magnifie la valeur guerrière des vaches, très rarement leur valeur « laitière ». La croyance selon laquelle les troupeaux choisissaient et créaient leur territoire était partagée par d'autres peuples pasteurs, notamment les Peuls.

32. Tous ces éléments sont empruntés à S. BIZIMANA.

33. Cf. ZUURE, 1929, pp.  80-81.

34. Cf. COLLE dans GOSSIAUX, 1973, III, p. 194, n° 140 et 141.

35. Il y aurait beaucoup à dire sur ce point : la prohibition de l'inceste et celle de l'anthropophagie sont, dans ces régions, obscurément ressenties comme appartenant au même ordre et répondant aux mêmes fonctions. La prohibition de l'anthropophagie commande l'échange des biens de consommation au même titre que celle de l'inceste, qui régit, selon la thèse bien connue de Cl. Lévi-Strauss, l'échange des  femmes. Les Bashi ont, à cet égard, une « devinette » (sakuzo) d'un extrême intérêt : Question : « Rhinga erhi ebirhinganine byo biryana ? » (« S'ils se mettaient sur le pied d'égalité, ils se mangeraient l'un l'autre. Qui est-ce ? »). Réponse : « omuntu arhankayanka mwali wabo » : « l'homme qui  prendrait   sa  soeur   en mariage » (COLLE, 1937, éd. de 1971, p. 206). Cf. aussi supra n. 19 où, à une question sur l'inceste, P. Baranyanka mêle dans sa réponse des éléments relatifs à l'anthropophagie.

36. Cf. COLLE (dans GOSSIAUX, 1973, III, p. 155) et MUTABARUKA, cit. plus haut, p. 137.

37.  Cf. VAN SAMBEEK, 1949, t. I, p. 83.

38. Cf. P. BARANYANKA (dans GOSSIAUX, 1973, I) et GOSSIAUX, 1974, I.

39. La vache rousse est assimilée au lion ou au léopard : son lait emporte, comme le pelage de ces animaux, la nuit (mort/mâle) dans le jour (GOSSIAUX, 1973, II et 1974, I). Traditionnellement, c'était une vache noire aux cornes recourbées qui était consacrée à Kiranga, cfr. GORJU, En zigzags à travers l'Urundi, Namur-Anvers, s.d. (1926), p. 105.

40. Cf.  COLLE, 1937, (éd. de 1971, p. 50).

41. Cf. COLLE, (dans GOSSIAUX, 1973, III, p. 153).

42. Cf. GOSSIAUX, 1973, III, pp. 198-199. Cf. également VAN DER BURGT, 1903, p. 107 : « Le Kiranga d'Uzumbura passait pour hermaphrodite... Il s'habillait comme une femme (ce qu'aucun Murundi ne ferait jamais), quoiqu'il présentait les allures d'un homme ».

43. Cf.  S. BIZIMANA, 1973, p. 16.

44. Cf. ZUURE, 1929, p. 62.

45. Cf. ZUURE, 1929, p. 49.

46. Cf. A. BOYAYO, Contes  et légendes du Burundi, Gitega, 1971, pp. 16-17.

47. Cf.  ZUURE, 1929, pp. 25-28.

48. Cf. COLLE, 1937 (éd. de 1971, p. 258).

49. Le P. LOUPIAS, dans « Tradition et Légende des Batutsi sur la Création du Monde... », Anthropos, 3 (1908), pp. 6-7, écrivait sur la foi d'informateurs peu sûrs, que les « grands Batutsi ne peuvent être Imandwa », ce qu'ARNOUX (1912, pp. 289-291) put démentir aussitôt.  La  répugnance des nobles Tutsi pour le kubandwa  n'en semblait pas moins réelle. Colle en relevait également l'existence chez les Luzi shi.   Mais pourquoi rechercher un pouvoir - illusoire - alors qu'on détient les forces qui l'organisent ?

50. Cf. D'HERTEFELT, 1962, pp. 37-38, 67-69 et TROUWBORST dans D'HERTEFELT etc., 1962, pp. 151-152. Cf.  aussi J. J. MAQUET, Le système des relations sociales dans le Ruanda ancien Tervuren, 1954. Nombreux détails également, pour les Shi, dans COLLE, 1937 (éd. 1971, pp. 246-255).

51. L'on sait que G. Kayibanda, le premier président de la République du Rwanda, où les Hutu détenaient désormais le pouvoir, fit interdire le kubandwa. Pendant ce temps, les Tutsi, réfugiés dans les pays voisins, s'initièrent en masse à la religion de Ryangombe en espérant que le dieu les aiderait à restaurer la royauté traditionnelle. L'inversion radicale de la relation de ces deux peuples à l'égard du kubandwa, dès lors que le pouvoir avait changé de mains, suffirait seule à révéler la véritable nature - et la fonction - de l'institution religieuse. L'on rapporte, du reste que lorsqu'il sentit le pouvoir lui échapper, G. Kayibanda alla au kubandwa.

 

 

 

Copyright text © 2006 Pol Pierre Gossiaux

Préalablement publié dans Art et exotisme, Revue des historiens de l'art, des archéologues, des musicologues
 et des orientalistes de l'Université de Liège, n° 9, 1990, p. 38-49.

 


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